Le
soleil entamait sa lente descente au dessus
du petit bois. Ils étaient là. Tous deux
s'étaient assoupis dans le vieux canapé défoncé.
Au cri des corneilles ils se sont dressés. Des larmes déjà
anciennes avaient marqué le visage du plus jeune et je savais le sang
qui poissait
le frère. L'aîné hurla et d'une rage incertaine jeta au
loin le vieux morceau de tôle rouillée sur lequel il pianotait
en boucle. Bossa nova tenace et langoureuse. Ils ont pris le temps de se regarder
et se sont levés. Un bloc de béton, déséquilibré,
a commencé
à rouler, déclenchant une avalanche minérale de brique
et de pierre. Comme aspirés par la coulée, ils se sont mis en
mouvement. Un espace était maintenant dégagé et dans
ce fouillis détritique reposait un morceau de faïence. Ils se
sont agenouillés et ont touché l'un après l'autre les
fleurs d'émail glacé.
Une larme est venue s'écraser au centre du carreau, éclaboussant
d'étoiles la surface poussiéreuse. Ils se sont redressés
et le petit s'est essuyé les yeux de ses mains crasseuses.
Le plus âgé a basculé sa tête en arrière
et s'est mis à cracher bien haut dans le ciel. Il a fermé ses
yeux quand les gouttes de salive ont commencé à toucher son
visage. Alors j'ai tremblé. Je me suis recroquevillé dans un
creux du gros tas de calcaire. Le temps a passé et ma vue s'est brouillée.
Je m'engourdissais,
il me semblait que les grandes roues de l'outil abandonné se mettaient
à tourner au soleil. Je pris peur et changeait de cachette. Ils s'étaient
approchés de la falaise d'ocre et l'ombre des
corps naissait de la pierre. Les yeux au vague, ils ont pissé longuement.
Devant moi, deux lézards tournaient sur un pneu craquelé. Ils
filaient à se suivre sans jamais se rejoindre. Quand l'un s'arrêtait,
l'autre en faisait autant et bientôt ils reprenaient leur course folle.
J'en oubliais ma quête. Je dus dresser bien haut ma tête au dessus
des grandes herbes pour enfin les retrouver. Ils venaient de rejoindre la
vieille mousse qui pourrissait dans les grandes canes sèches des ciguës.
Ils ont joué à rire, se sont bousculés sur la couche
usée. Le couple de corneilles a crié et j'ai vu les doigts se
crisper dans la mousse. Ils se sont remis en marche et le petit s'est débarrassé
de sa chemise. Quelques pas dans la coulée des chasseurs. L'escalier.
Défiant la gravité, clown et fanfaron, le petit s'est hissé
au sommet. Il s'est applaudi. Trois claques dans ses mains. Deux perdrix inquiètes
se sont enfuies d'un fourré. L'aîné restait sombre.
C'est lui qui a commencé. Il a posé ses deux mains bien à
plat sur l'escalier et s'est mis à ramper de tout son corps sur les
marches ébréchées. Il se hissait de sa chair et j'étais
là à le voir. Et l'autre, le petit, s'allongeait à son
tour. Il commença sa progression dans l'hélice de béton.
C'est là que je choisis de les quitter. Demi tour. Chemin blanc. Trois
petits cailloux dans le creux de ma main. Deux coups de feu et le silence.
Et l'ombre est là.
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