Vous
souvenez-vous de Robarick l'illustrissime cambrioleur gentleman?
Il commit le hold-up qui clôtura sa carrière infaillie,
dans cette ville tranquille aux deux fleuves et à la gare terminus
construite par l'architecte de la gare d'Orsay devenue le musée par
la suite.
Nous allons suivre ensemble le parcours de ce génie de la cambriole
: auncun mort, aucun blessé sur la conscience, que de l'allègement
de richesses accumulées par d'autres.
Il m'avait donné rendez-vous dans une ruelle, de manière
sibylline, un premier soir de printemps : deux panneaux d'indication routière
: une flèche blanche sur fond bleu et en arrière plan, un tiret
blanc sur fond rouge.
J'avais dû parcourir la ville à la recherche de ce mince indice
commun pendant une semaine, indice trouvé par hasard comme souvent.
Le voleur de profession avait accepté que je prenne quelques
photos sous certaines conditions : interdiction formelle et fondamentale de
le faire apparaître dans le
champ
de l'objectif et possibilité de publier le récit écrit
et photographique vingt ans après l'événement.
Le 21 mars au soir, donc, nous nous étions rejoints dans la ruelle
dite (devant le grand théâtre), puis nous avions continué
en traversant le pont pierreux. Il s'avéra difficile de prendre des
photos lorsqu'on suit l'ennemi numéro 1 des banquiers et autres bijoutiers...
à vélo.
En passant le fleuve, je réussis à déclencher l'appareil et aussi
, après le pont, en arrivant à l'octroi, ancien péage
de la cité (Robarick
était expert en dérision). Un complice dans une voiture grise
volée l'y attendait. Il m'y expliqua sa philosophie de la vie tranquillement
: il avait été marqué par le personnage de Robin des
Bois, en était devenu une sorte moderne en redistribuant une partie
de ses gains - valeurs dont il délestait les riches et leurs banques
- à des ONG, aux collectifs de chômeurs, sans papier, sans terre
et autres intouchables des sociétés de la planète. Les
injustices vécues dans son enfance l'avaient façonné
tel.
Il finit par me donner rendez-vous pour le lendemain matin quelques
centaines de mètres plus haut en sens inverse, avant un carrefour,
derrière une AX bleu marine précédée d'une clio
blanche ,
véhicule volé d'un autre complice, et en précisant de
m'y rendre à vélo toujours, une nouvelle fois à mon étonnement.
Il souriait malicieusement.
Le 22 mars au matin, Robarick m'attendait au lieu dit, à
l'heure dite.
Le feu vert était donné : et ô surprise les
vols prévus seraient bien perpétrés à vélo.
L'expert en délestage de valeurs était vêtu de manière
non remarquable, sauf un bonnet pour camoufler la partie supérieure
et arrière de la tête, des lunettes pour faire diversion et un
sac à dos de haute randonnée. Le moyen de transport employé,
le VTT, permettait de se faufiler parmi le trafic automobilique ,
d'emprunter les trottoirs, en bref d'être mobile en ville. La clio blanche
faisait partie du voyage. Je remarquai, quelque temps après notre départ,
qu'un jeune homme sur un scooter nous accompagnait aussi. L'affaire du 22 mars était minutieusement préparée. D'ailleurs
des usagers d'un autobus que nous croisâmes semblaient nous observer;
ou sûrement était-ce uniquement le fruit de mon imagination fébrile
et débridée. La course folle battait son plein; la traversée ligérienne se fit sans encombre, le lit fluvial découvrait déjà ses légendaires
bancs de sable, après un hiver pourtant très pluvieux.
Juste avant notre passage, en leurres, les complices venaient de semer de
faux indices (qui se révèleront efficaces) sur le parcours pour
brouiller les pistes des futurs limiers : j'en vis un dépassant d'une
poubelle à la sortie du pont sans pouvoir en préciser la nature,
d'où je me trouvais. Puis à droite, je compris, à un signe de la main de Robarick,
qu'il avait pris prétexte d'un chantier à un angle de la rue
principale pour utiliser un camion avec de faux ouvriers qui faisaient mine
d'oeuvrer, mais attendaient en fait le moment d'agir.
Tout commençait d'aller très vite.
Une remarque s'impose : la série de photos avec leur cadrage
très
singulier fait planer un sentiment d'étrangeté totale : jongler
avec des prises de vue, sur un vélo,en essayant de suivre un bandit
de grande classe tout en étant attentif à la circulation dense
complique la tâche et donne ce résultat bancal.
Une autre voiture grise, isolée, attendait son heure. Les opérations de délestage avaient commencé : plusieurs
banques, cinq ou six, seraient dévalisées simultanément
avant une demi-heure. Robarick ramassait au passage le butin. Tout
était minuté. La plupart des badauds restait bouche bée
devant le spectacle.
Robarick m'avait semé; un objet non identifié gisait au milieu
de la rue, je le ramassais en souvenir (peut-être aussi par complicité; j'avais été accepté un bref moment
par le maître réputé farouche et inapprochable).
J'appris plus tard qu'il avait été champion cycliste, qu'il
avait participé à plusieurs Tour de France, terminés
bien classé ; il avait abandonné la carrière par refus
du système, et surtout pour s'adonner à sa passion. En sachant
cela, j'étais moins vexé d'avoir été distancé
aussi facilement sans avoir pu rivaliser.
Une question morale se pose : vous pensez sûrement que je fus complice
en suivant ces pérégrinations cambrioleuses; je suis heureux
de vous l'entendre penser. Cependant vous allez être déçus:
j'ai rencontré Robarick longtemps après sa prise de retraite
et ai refait le trajet de son dernier casse suivant ses propres indications.
Vincent, mars MMIII.
|