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Couchages de fortune

  ••• I •••

 

Une odeur âcre de sommeil, asphyxie, ajoutée aux odeurs de pieds, de méthane, essences mélangées, sudations corporelles mêlées, trois planches de chaque côté d'une petite allée qui mène à une fenêtre obturée, un cliquetis régulier, un mouvement incessant, un wagon-lit en somme.

••• II •••

 

La turne

  On y accédait par un escalier étroit, modeste. Il ne s'agissait pas d'une suite de palace, non, c'était plutôt une turne. Deux ouvertures donnaient sur la rue en sens unique. L'une des deux étant plus large, permettait de s'asseoir sur sa margelle de béton, les jambes allongées, à fumer une cigarette lorsque les rayons solaires du couchant venaient détendre l'épiderme du visage. Moments de nonchalance. Le mobilier modeste, rudimentaire ne surchargeait pas l'espace : un lit, deux petites tables face à face avec sa chaise chacune et dans le même axe un évier avec un chauffe-eau à la petite flamme témoin du quotidien. Une petite plaque électrique permettait de chauffer les différents repas de la journée. Tous ces éléments, du lit, calé dans le renfoncement dû à l'escalier, à l'évier se disposaient dans un axe parallèle à la rue.
  Le seul électron libre, nomade de cet espace, était le radiateur électrique à roulettes, et qui réjouissait les factures d'électricité des mois d'hiver.
  Dans un coin de la pièce, comme au rebut, en un volume restreint et fermé par une porte, un chiotte jouait sa mitoyenneté avec une douche si peu aérée, que l'humidité engendrée par cette dernière, permettait de cultiver de superbes et fragiles champignons à longue tige et d'une couleur verdâtre incertaine; pas de quoi nourrir une omelette.

••• III•••

 

   Dans un immeuble énorme, une résidence universitaire, l'été. Quatre par chambre. Lits superposés. Petite chambre carrée, avec une sorte de moitié de baie vitrée donnant une vue sur un carrefour avec les lignes de fils électriques des tramways. Je ne me rappelle plus la couleur des murs : vert ou jaune, terne. Une table courait le long des murs dans le prolongement des lits. Y en avait-il une sous la fenêtre ? peut être. Ancien mobilier, pas de quoi réveiller Le Corbusier. Plafond assez haut. L'entrée : une première porte ouvrant sur un court couloir. À droite, un chiotte et un lavabo dans l'antichambre du chiotte. Ensuite à droite toujours, une douche. Puis une porte avec une vitre troublée en un rectangle central, accès modeste à la chambre. Ah! sûrement un placard à gauche au dessus de la table. Espace réduit pour quatre personnes; clapier peu lumineux. Chambre au cinquième, sixième ou septième étage ?; où, même la nuit, lorsque vous dormez du lourd sommeil du touriste, les voleurs veillent sur votre portefeuille pour vous en délester silencieusement et vous rendre de plus en plus léger sans s'en rendre compte.

••• IV •••

   Dans l'usine à sardines, vitres éclatées d'hiver. Sur un lit de factures jaunâtres et pâles d'oubli.
••• V •••

   En Bourgogne. Entre deux rangs de vigne boueuse, au dos d'un grand fût de briques.
••• VI •••

Près de Tarare. Dans des draps de bâche bleue, offrande aux limaces, compagnons d'une nuit.
••• VII •••

   A Saint Guénolé. Dans un trou de rocher, humide et seul sur le sable, sur un matelas de flacons brisés, de plastiques des marées.

••• VIII •••

  A Fondettes. Sous un vieux Citroën dont les essieux débarrassés des roues reposaient sur des parpaings empilés.
••• IX •••

   Au Mont Dore. Devant l'auberge de jeunesse où l'on nous avait refusé le couloir. Serrés dans une 2ch bleue à pierre fendre.
••• X •••
   Au dessus d'If. Dans un petit abri de berger, au fond d'une cuvette. Des heures de marche, les jambes s'enfonÿant à chaque pas dans une épaisse couche de neige. Bruits terrifiants sur le toit, esprits de l' enfer. La peur. Petits pains de neige détachée nous dira le ciel matinal.
••• XI •••

   Près du lac blanc. Sous l'orage des Pyrénées, enfouis sous un tas de pierres déplacées.

••• XII •••
   Près de Vannes. Au sol et dans la neige. Dans le vieux duvet de l'armée que m'avait prêté ce grand garçon au longs cheveux blonds. Au matin, ma bouteille d'eau était gelée.