ACCUEIL   SOMMAIRE DE LA SÉANCE

Conditions inhabituelles

  ••• I •••

 

   Dans la panique, je me suis précipitée, non chez la voisine, comme me l'avait conseillé maman, mais dans le poulailler, près de mon canard qui dormait en paix avec les poules, et qui acceptera de rester contre moi. Diable! qu'il fait froid! mais il est hors de question d'aller chercher un vêtement, j'ai trop peur! Je sais confusément que c'est la guerre, que si maman m'a laissée toute seule c'est pour aller chercher papa. mon coeur de cinq ans en est encore plus oppressé: Que s'est-il passé? Papa est-il malade? J'ai souvent entendu ses cris de douleur sous l'effet des coliques hépatiques et sa chanson revient lancinante: "les douleurs sont des folles, ceux qui les écoutent sont encore plus fous...". Pour l'heure, j'ai peur et je me fais toute petite contre les poules. Le moindre de leur mouvement me parvient amplifié, j'ai dix oreilles et j'entends en même temps, le craquement du barreau sur lequel elles reposent, le doux ronron du chat qui veut aussi sa place et le léger bruissement de mon canard qui veut me rassurer. Mais le bruit de la porte qui seul m'intéresse, je ne l'entends pas.
   Quand maman va-t-elle revenir? Et reviendra-t-elle? si elle veut rester avec papa, que vais-je devenir?
   Soudain, une brusque lueur me fait monter le coeur dans la gorge: tout le poulailler s'illumine, et quand je consens à lever la tête, c'est la lune qui se moque de moi. Je n'ai pas le courage d'en rire, je cherche cependant un coin moins visible: dans un carré, il n'y a pas d'angles morts! je l'apprends et reste contractée, épouvantée, dans le silence et les mouvements maintenant familiers des bêtes....
J'ai dû m'endormir, car la lune a changé de place, sans que je l'aie vu bouger... Quelle heure est-il? Maman! Maman! rien ne répond que l'angoisse de mon coeur et les crampes qui marquent ma contraction apeurée.
   Le grillage semble se volatiliser et les bêtes se sont pelotonnées contre moi. Je ne sais plus s'il fait froid, je ne sens plus les pipidons qui me dévorent et auxquels il faudra donner la chasse demain, s'il y a un demain.
Puis c'est le trou. Je ne sais plus rien, sauf les cris de ma voisine: "Roseline, Roseline, où es-tu?" Je sens l'affolement, je comprends sa gentillesse; je ne peux pas répondre: ma seule pensée: "maman est morte" . Les minutes passent, le poulailler s'agite, le coq lance son cocorico et sa première fiente. Le brouhaha devient vite agitation; les bêtes ont faim et veulent sortir. Moi aussi, d'ailleurs, pourtant je ne parviens pas à bouger; je retiens en moi cette nuit effrangée, par crainte de la clarté des mots du jour.
C'est le claquement du portail qui me réveille à nouveau. Non, c'est celui du poulailler, tiré par maman! MAMAN...
   Pas un mot, des pleurs des baisers, des pleurs encore...et maman me porte toute pantelante et hoquetante, dans mon lit où je sombre dans un sommeil parsemé de cauchemars.
   Avant de m'endormir, j'ai le temps d'apercevoir leurs visages. Papa est là!
J'apprendrai le lendemain que papa ayant été pris dans une rafle, maman prévenue par une voisine était partie pour le sortir de cette situation. Et y avait réussi!
Mais quelle nuit!

Roseline Sniegourochka

••• II •••

 

   Un crayon qui court tout seul sur mon cahier et trace de fantastiques arabesques!!! Mes paupières, ma conscience ne résistent pas à la voix monocorde du prof de chirurgie juste après le déjeuner!...

••• III•••

 

  Ma première nuit dans un camping. Cette impression d'être dans une vaste salle commune. Ces bruits?!... Chez les voisins?... Chez moi? Qui pète? Qui tousse? Qui ronfle? Qui crie? Qui écoute sa radio? Qui discute? Qui dispute?

••• IV •••

   En wagon-lit. Au départ un oreiller et une couverture qui m'arrivent dans la figure par la fenêtre ouverte sur le quai...
   A l'arrivée, réveillée par l'annonce de la ville, suivant ma destination!...

••• V •••

 

   Les nuits à lutter contre le sommeil sur mon bureau d'infirmière... Le nez sur mes dossiers, transmissions... "déciblées".

••• VI •••
   Sous des tentes canadiennes... à 3, à 4... Serrés comme des sardines dans leur boîte... contacts, chaleur, souffles, bruisse
••• VII •••

   
   En Savoie, dans un igloo construit par une bande de copains... Je ne suis pas sûre d'y avoir terminé la nuit.

••• VIII •••

   Une nuit dans le Massif Central, 2 CV garée sur un faux plat! Banquette accrochée au toit... Nous nous glissons dessous, dans nos duvets... C'est tellement juste que dans la nuit, je donne un coup de genou dans le frein à main et... la voiture de démarrer tranquillement...
••• IX •••

   J'ai dormi dans le coffre de ma voiture. Il manquait dix centimètres pour que je puisse allonger mes jambes... En chien de fusil, pour m'endormir, je suis bien, mais au fil eds heures... j'avais le nez gelé, les épaules enroulées, les genoux cassés.
••• X •••

Mise en boîte!

- A chacun sa place ! Chacun son espace, si, si... y'en aura pour tout le monde.
- Pas le choix! Elles sont toutes pareilles; ce que je chercherais bien, c'est un peu plus grand.
- Bon, allez, tiens... là!
Dans ces rangées de petites boîtes, je me sens déjà coincée, je ne supporte pas!...
... allez, tu te mets là et tu ne bouges plus!...
N'y pense pas! C'est étudié pour? Juste calculé pour pouvoir y respirer... et encore!
Si je m'y installe, pourrais-je en sortir?
Je ne suis même pas sûre de pouvoir m'y asseoir sans me heurter la tête...
... Ça me dit quelque chose cette impression d'économie d'air indispensable à la survie... En un mot, pas de panique!
Pas question d'étendre bras ou jambe en diagonale... Non au plaisir de s'étaler!... Je me sens déjà, roulée là sous un linceul, bridée dans un de mes langes de bébé....
Bon, prends l'option "rêves béats", trop dangereux les cauchemars, un éternuement et tu te coinces.
... Remarque, c'est joli, les tons sont chauds... quelle essence de bois?
Ça manque un peu de capiton, de coussins, de volants... Allez, laisse de côté ton goût pour la déco, ce n'est pas à toi celui-là, c'est juste pour essayer. Si un jour tu décides de t'en aménager un, tu pourras délirer à ton aise!
... Pour le moment, une série de questions me viennent...
Je me déshabille avant d'y entrer, devant tout le monde ou je dors toute habillée?
... Et pourquoi faut-il toujours que je me souvienne avoir une vessie, quand je me pose des questions?
Ouais, on évitera de se lever à 3 heures du mat... d'ailleurs j'hésite autant à me lever qu'à me coucher, le petit jour sera là et avec lui la libération...
Et pourtant, je m'y suis allongée; je suis presque sûre d'avoir trouvé un peu de repos; je n'ai subi aucun traumatisme, je me suis extirpée de ma boîte au petit matin. Qui plus est, je garde un excellent souvenir de cette croisière sur le Bélem!

••• XI •••


   Un espace minéral infini dont la composition laisse percevoir l'action pugnace d'un temps qui broie tout en sable. Tu dors dans un sarcophage incommensurable ; pour tout toit, un voûte céleste sans fin. Sans bruit.

••• XII •••

   Le soir, à la faveur d'une pénombre, haut perché dans les arbres, à une centaine de mètres de la route, tendu entre deux arbres, un hamac bleu solidement accroché à une demi dizaine de mètres du sol. Une multitude de bruissements indistincts, la nuit qui tombe d'un coup, le crépuscule qu'on devine derrière la masse touffue des branchages, un silence qui s'instaure presque absolu, et l'endormissement. Le réveil après quelques heures pour se dégourdir d'une position inconfortable, et le fouissement au sol de bêtes qu'on est incapable de distinguer, l'appel strident de quelque oiseau de nuit inconnu, et le gazouillis de l'activité qui reprend aux premiers instants du jour.
••• XIII •••

    Nous avions pensé construire une chambre de plein air, sans autre mur que l'espace aux parois invisibles, et l'instant d'une nuit. Il s'agissait d'une chambre particulière puisqu'elle flottait sur un étang : sorte de radeau composé de gros bidons solidaires et de palettes formant le plancher. Par sécurité et pour empêcher nos rêves de glisser jusqu'à l'eau, une rampe entourait le radeau de symboliques barrières. Ainsi ce havre flottant, mouillant au milieu des terribles eaux d'un très petit étang, flaque d'eau minuscule sur la carte, fut bercé par l'imperceptible houle des maigres flots. Marins d'eau très douce ! Combien de grenouilles, combien de carpes et autres poissons pouvaient accompagner les méandres de notre sommeil ? Et combien de moustiques ?
••• XIV •••

    J'arrivai sur les lieux , tard le soir, à l'ombre de la nuit. Lieux du sommeil promis, surtout désiré, harassé que je fus par la terrible journée. Repérage difficile. Ne pas mettre les pieds dans les flaques surtout, qui semblaient plutôt étang et rivière. Sommeil plein air, droit dans la nocturnité étoilée. Murs d'air, de buissons et de bruissements éclectiques. Géographie choisie sur le lit de la rivière confortable. Le clapotis caillouteux servirait de berceuse. L'orchestration coassante des musiciennes soulignait la tiédeur estivale. Les moustiques aussi ajoutaient de leur pique aiguë dans la symphonie qui continuait avec les bruits singuliers de l'imagination plus apeurant ou troublant que bruyant. Résonance nocturne amplifiée.
••• XV •••

   A Vallières-les-Grandes. Pêcherie d'étang, gardiens d'une nuit. Dans cette caravane moussue enracinée au sommet du petit bois. Au profond d'un brouillard de bridge et de tabac, parfum d'hiver et de poussière.
••• XVI •••

   A Belleville, près d'Hauteluce. Dans cette chambre de morte enfouie sous la neige. Au chevet du lit d'édredons glacés, une mouche a fini de nager, incrustée dans l'eau gelée d'une bouteille oubliée.
••• XVII •••

   Près de Porto Vecchio. Sur un petit banc de graviers humides, entre deux veines d'un torrent de montagne. A guetter l'approche des sangliers qui fouillent nos déchets.
••• XVIII •••

    Près du Col du Véry. Sous un ciel glacial d'altitude, en tas, serrés comme des oiseaux. Gants et bonnets, bottes et pulls.
••• XIX •••

   Au dessus du Léman. Dans cette vieille grange, entre deux motos rouges italiennes, flottant dans des vapeurs d'essence et d'huile synthétique.
••• XX •••

   Entre Corse et continent. Sur le quatrième pont d'un gros ferry qui s'enfonce et se dresse, claques de mer, odeur douceâtre de vomissures humaines. Orchestre de jazz
••• XXI •••

   En direction des Alpes. Dans un vieux bus Simplon, vautré sur un tas de sacs de vermiculite.
••• XXII •••

   Sous le col du Bonhomme. Dans une vieille étable d'alpages, insoutenables bruits d'élastique d'une rencontre amoureuse.
••• XXIII •••

   Par ici. Dans le noir d'un cachot, nu, enroulé dans une pauvre couverture.
••• XXIV •••

   A Grenoble. Dans un ascenseur bourdonnant d'électricité, immobile dans la tour endormie.
••• XXV •••

   A Landes. Dans un fossé de grillons affolés de soleil. Chuintement des pneus sur l'asphalte.